Et Après?

Damien Jouglet nous partage un texte de Pierre_ Alain Lejeune_ Illustration Camille S._

Et après ?
March 22, 2020
Pierre Alain Lejeune
 

      Et tout s’est arrêté…
Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont
nous savions tous qu’il courait à sa perte mais dont personne ne trouvait le
bouton « arrêt d’urgence », cette gigantesque machine a soudainement été
stoppée net. A cause d’une toute petite bête, un tout petit parasite invisible
à l’œil nu, un petit virus de rien du tout… Quelle ironie ! Et nous voilà
contraints à ne plus bouger et à ne plus rien faire. Mais que va t-il se passer
après ? Lorsque le monde va reprendre sa marche ; après, lorsque la
vilaine petite bête aura été vaincue ? A quoi ressemblera notre vie après ?
 
      Après ? Nous souvenant de ce que nous aurons vécu dans ce long
confinement, nous déciderons d’un jour dans la semaine où nous
cesserons de travailler car nous aurons redécouvert comme il est bon de
s'arrêter ; un long jour pour goûter le temps qui passe et les autres qui nous
entourent. Et nous appellerons cela le dimanche.
 
      Après ? Ceux qui habiteront sous le même toit, passeront au moins  3
soirées par semaine ensemble, à jouer, à parler, à prendre soin les uns des
autres et aussi à téléphoner à papy qui vit seul de l’autre côté de la ville ou
aux cousins qui sont loin. Et nous appellerons cela la famille.
 
      Après ? Nous écrirons dans la Constitution qu’on ne peut pas tout
acheter, qu’il faut faire la différence entre besoin et caprice, entre désir et
convoitise ; qu’un arbre a besoin de temps pour pousser et que le temps
qui prend son temps est une bonne chose. Que l’homme n’a jamais été et
ne sera jamais tout-puissant et que cette limite, cette fragilité inscrite au
fond de son être est une bénédiction puisqu’elle est la condition de
possibilité de tout amour. Et nous appellerons cela la sagesse.
 
      Après ? Nous applaudirons chaque jour, pas seulement le personnel
médical à 20h mais aussi les éboueurs à 6h, les postiers à 7h, les
boulangers à 8h, les chauffeurs de bus à 9h, les élus à 10h et ainsi de
suite. Oui, j’ai bien écrit les élus, car dans cette longue traversée du désert,
nous aurons redécouvert le sens du service de l’Etat, du dévouement et du
Bien Commun. Nous applaudirons toutes celles et ceux qui, d’une manière
ou d’une autre, sont au service de leur prochain. Et nous appellerons cela
la gratitude.
 
      Après ? Nous déciderons de ne plus nous énerver dans la file d’attente
devant les magasins et de profiter de ce temps pour parler aux personnes

qui comme nous, attendent leur tour. Parce que nous aurons redécouvert
que le temps ne nous appartient pas ; que Celui qui nous l’a donné ne nous
a rien fait payer et que décidément, non, le temps ce n’est pas de l’argent !
Le temps c’est un don à recevoir et chaque minute un cadeau à goûter. Et
nous appellerons cela la patience.
 
      Après ? Nous pourrons décider de transformer tous les groupes
WhatsApp créés entre voisins pendant cette longue épreuve, en groupes
réels, de dîners partagés, de nouvelles échangées, d’entraide pour aller
faire les courses ou amener les enfants à l’école. Et nous appellerons cela
la fraternité.
 
      Après ? Nous rirons en pensant à avant, lorsque nous étions devenus
les esclaves d’une machine financière que nous avions nous-mêmes créée,
cette poigne despotique broyant des vies humaines et saccageant la
planète. Après, nous remettrons l’homme au centre de tout parce
qu’aucune vie ne mérite d’être sacrifiée au nom d’un système, quel qu’il
soit. Et nous appellerons cela la justice.
 
       Après ? Nous nous souviendrons que ce virus s’est transmis entre
nous sans faire de distinction de couleur de peau, de culture, de niveau de
revenu ou de religion. Simplement parce que nous appartenons tous à
l’espèce humaine. Simplement parce que nous sommes humains. Et de
cela nous aurons appris que si nous pouvons nous transmettre le pire, nous
pouvons aussi nous transmettre le meilleur. Simplement parce que nous
sommes humains. Et nous appellerons cela l’humanité.
 
      Après ? Dans nos maisons, dans nos familles, il y aura de nombreuses
chaises vides et nous pleurerons celles et ceux qui ne verront jamais cet
après. Mais ce que nous aurons vécu aura été si douloureux et si intense à
la fois que nous aurons découvert ce lien entre nous, cette communion plus
forte que la distance géographique. Et nous saurons que ce lien qui se joue
de l’espace, se joue aussi du temps ; que ce lien passe la mort. Et ce lien
entre nous qui unit ce côté-ci et l’autre de la rue, ce côté-ci et l’autre de la
mort, ce côté-ci et l’autre de la vie, nous l’appellerons Dieu.  
 
      Après ? Après ce sera différent d'avant mais pour vivre cet après, il
nous faut traverser le présent. Il nous faut consentir à cette autre mort qui
se joue en nous, cette mort bien plus éprouvante que la mort physique. Car
il n'y a pas de résurrection sans passion, pas de vie sans passer par la
mort, pas de vraie paix sans avoir vaincu sa propre haine, ni de joie sans
avoir traversé la tristesse. Et pour dire cela, pour dire cette lente
transformation de nous qui s'accomplit au coeur de l'épreuve, cette longue
gestation de nous-mêmes, pour dire cela, il n'existe pas de mot.

Article publié par doyenné • Publié le Samedi 25 avril 2020 • 746 visites

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